Chronique : Cimenterie de Port-Daniel

Le monstre gaspésien

On a appris cette semaine dans La Presse Affaires que le démarrage de la cimenterie géante de Port-Daniel serait encore retardé de quelques semaines. Ce retard, peut-être normal pour une installation de cette taille, ne change pas grand-chose à nos vies, si ce n’est quelques jours de répit avant que ce monstre environnemental ne commence à cracher ses gaz à effet de serre.

Cette nouvelle me donne en fait l’occasion de revenir sur la politique économique la plus incompréhensible, la plus incohérente, la plus caricaturale et la plus scandaleuse sur le plan environnemental qu’ait concoctée l’État québécois depuis le tournant du nouveau siècle.

Ciment McInnis, c’est un projet de cimenterie de très grande taille, située à Port-Daniel, dans la baie des Chaleurs, qui dormait sur les tablettes depuis des années, jusqu’à ce que le gouvernement de Pauline Marois décide de l’appuyer à grand renfort de fonds publics, début 2014, en pleine fièvre préélectorale.

Au départ, il y avait une ironie dans ce projet. La cimenterie de Port-Daniel se trouve à 32 kilomètres de route de l’emplacement de la Gaspésia, l’usine de pâtes et papiers que l’État québécois a voulu relancer, une aventure qui s’est terminée par une faillite. Disons qu’il y a de la cohérence interne dans la façon de soutenir économiquement ce petit coin de la Gaspésie, et dans le désir, on s’en doute, d’en retirer des fruits électoraux.

L’autre ironie, c’est que lorsque les libéraux de Philippe Couillard ont pris le pouvoir, quelques mois plus tard, ils ont décidé de soutenir le projet, même s’il reflétait une conception très péquiste du développement économique, et même s’il était une monstruosité environnementale.

La fabrication de ciment est l’une des activités industrielles les moins carboneutres.

Ciment McInnis est moins polluante que les cimenteries existantes, à qui elle fait d’ailleurs une concurrence déloyale, parce qu’elle est plus récente. Mais à cause de sa très grande taille, elle aura l’insigne honneur d’être la plus importante émettrice de gaz à effet de serre au Québec.

Cette cimenterie rejettera dans l’atmosphère 1,76 million de tonnes d’équivalent CO2. Cela représente 2,1 % des émissions québécoises. Elle produira à elle seule 6 % des émissions industrielles.

Ces chiffres sont abstraits. Mais voici une image qui dit tout. Pour compenser les émanations produites par cette seule cimenterie, il faudrait retirer de la circulation 462 910 véhicules – automobiles et camions légers – des routes du Québec !

Dans une logique de développement durable, il faut parfois composer avec des effets environnementaux indésirables. On peut, par exemple, vouloir maintenir la production de pétrole des sables bitumineux en raison de son apport économique important.

Mais comment peut-on se lancer dans une activité nocive, en 2014, quand on ne peut pas plaider l’ignorance et qu’on ne peut pas non plus la justifier par une nécessité économique incontournable ? C’est encore plus incompréhensible quand on sait que les gouvernements québécois qui se sont succédé depuis 10 ans ont tous promis une réduction substantielle des émissions de gaz à effet de serre. La cible du gouvernement Couillard, c’est une réduction de 37,5 % d’ici 2030. Cherchez la logique.

Et ce n’est pas parce que cette cimenterie comblera un besoin vital. Elle est en principe destinée aux exportations. Ce n’est pas non plus parce que c’est un secteur de pointe. Malgré la complexité de l’usine, une cimenterie ne sera rien d’autre qu’une énorme machine à broyer et chauffer du calcaire, avec comme source d’énergie un produit très polluant, du coke de pétrole.

Pourquoi alors ? Pour aider la région ? L’usine, une fois en marche, ce qui ne saurait tarder, créera 200 emplois, 100 directs, 100 indirects. Pour un investissement de 1,5 milliard, ça fait 7,5 millions l’emploi.

Pour le demi-milliard de fonds publics, ça revient à 2,5 millions par emploi.

On imagine tout ce qu’on pourrait faire avec cet argent si l’on faisait preuve d’un peu de créativité.

Je garde le clou pour la fin. Qu’est-ce qui arrive à des entreprises pharaoniques, qui ne fonctionneraient pas sans aide publique et dont la gouvernance est floue ? Les coûts ont explosé. De 1,1 milliard en 2014, le coût du projet est passé à plus de 1,5 milliard en 2016.

C’est la Caisse de dépôt qui est venue à la rescousse, en augmentant sa participation de 140 millions à 265 millions, après avoir imposé des changements à la direction. Avec cette injection de fonds additionnels, c’est la Caisse qui a pris le contrôle de la société qui est le principal actionnaire de la cimenterie, Beaudier Ciment, dont l’autre actionnaire est la famille Bombardier.

Le projet a maintenant atteint le point de non-retour. Tout ce qu’on peut espérer, c’est que la Caisse de dépôt réussira à en faire un succès financier et que les pressions seront assez fortes pour forcer la cimenterie à modifier ses procédés pour réduire son impact.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.